JOURNEE DE LA FEMME




Une question de survie ?

Il est temps, je pense de vous parler un peu plus de mon métier.
Ce blog s’intitule "maman et psy", et même si l’aspect "psy" est un peu mis de côté en ce moment dans ma vie, il n’est jamais bien loin.

Je suis psychologue et avant que je ne choisisse d’élever pour un temps, moi-même mes enfants,  je travaillais avec les enfants victimes et leur famille.
-Pas facile, réagissait on
Non. Pas facile. 

Laissez-moi aborder les motivations de ce choix.

Il y a dix ans, jeune étudiante, je cherchais désespérément un stage. J’avais envoyé des courriers partout, mais n’étant qu’en troisième année de psychologie, dans une faculté clairement psychanalytique, j’avais peu d’arguments à avancer, et mes recherches n’aboutissaient pas.

Je commençai à désespérer quand je reçus l’appel d’un psychologue pour un entretien. Il travaillait au service d’addictologie d’un grand hôpital parisien. Dans ce cadre hospitalier, je fus reçue par un homme d’un certain âge, courtois, très cultivé et assez autoritaire. Il m’expliqua son travail, m’apprit que par ailleurs, il donnait des cours à la fac et avait également un cabinet. Il me parla de Freud, Lacan, m’indiqua des sites internet intéressants traitant de l’addictologie sous l’angle psychanalytique. Je n’en revenais pas de l’opportunité fabuleuse qui s’offrait à moi. J’allais pouvoir assister aux consultations à l’hôpital, faire passer des tests aux patients. Et cerise sur le gâteau, aux côtés d’un professionnel brillant, possédant un grand savoir théorique, qu’il semblait tout disposé à partager.  Ce premier entretien fut encourageant. Nous nous entendîmes bien. Il me téléphona quelques jours plus tard au sujet de la convention de stage. Il me demanda de la lui déposer à son cabinet.

Dix ans après, je me souviens encore très bien de cette journée. Il faisait beau. Je portais du rose et mes cheveux longs sur les épaules. Je pense que j’irradiais de bonheur. Je vivais depuis quelques mois une passion amoureuse avec l’homme qui allait devenir mon mari. Bref, j’étais dans de très bonnes dispositions en arrivant au cabinet du professeur. Première surprise, je découvrais en entrant que son cabinet se trouvait être chez lui. Bon. Un peu mal à l’aise, j’attendis dans sa salle d’attente. J’étais seule. Il n’y avait pas un bruit. Il sortit de son bureau dix minutes plus tard, et m’invita à y entrer. Nerveuse, je lui montrai d’emblée ma convention de stage et lui indiquai l’emplacement réservé à sa signature. Mais il ne semblait pas pressé. Il commença à me parler « art ». Pourquoi pas… Le téléphone sonna. En quittant la pièce pour répondre, il me lança «  vous pouvez vous allonger si vous voulez. » Quoi ?! Sur le divan ? Mais je n’étais pas une de ses patientes ! J’examinais la pièce, de plus en plus mal à l’aise. Il y avait un petit divan dans un coin et un fauteuil dans un autre. Une photographie de Freud. Et accrochés aux murs, plusieurs tableaux de couleur vive. Ce qui me frappa, c’est que tous les murs étaient recouverts de tableaux et on les avait accrochés très bas. L’atmosphère était étouffante et je me souviens avoir hésité à partir. Mon futur maître de stage revint. Il s’installa à son fauteuil et me fit prendre place sur le siège en face. Après quelques commentaires sur ses toiles qu’il collectionnait, il sortit son stylo pour signer ma convention de stage. Mais tout à coup, il redressa la tête et me dévisagea. « Vous aimez séduire, n’est-ce pas ? » J’ai sursauté. Etait-ce une question piège ? Une question destinée à me choquer ? Et je l’étais, choquée !

-Comme tout le monde, je pense. C’est tout ce que j’ai trouvé à répondre, gagnée par l’embarras. Et la peur.

« -Vous êtes séduisante, très séduisante. »

Je me suis liquéfiée sur place. Tout de suite je pensais « qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Ce sont mes cheveux ? »

Là-dessus, il me fit me lever en me prenant le bras et ordonna d’une voix forte «  embrassez-moi ! »

J’étais tétanisée. Sous le choc. Dans l’incapacité de réagir. Bien sûr, il en profita pour me serrer contre lui. Je l’ai regardé, il était transpirant, rouge, les yeux fous. J’ai reculé et protesté : «  non ! ».

Dans ma tête, un clignotant s’était allumé Alerte ! Danger !

J’étais dans une pièce fermée, dans un appartement privé. L’homme était costaud, incontrôlable et surtout entre la porte et moi… Je me suis sentie comme une biche aux abois. Le cœur tambourinant à s‘en faire mal. S’il employait la force, je n’étais pas certaine de m’en sortir. Je voulais tellement sortir !

En fin de compte, ce n’est pas la force qu’il utilisa. Mais le chantage. Il me montra la pile de CV qu’il avait sur son  étagère. Il trouverait sans problème quelqu’un d’autre….

Je lui répondis que j’étais navrée qu’il le prenne ainsi.

Il me fit alors clairement  comprendre que sans lui, je ne pourrais pas valider mon année universitaire.

J’ai acquiescé tout en me dirigeant lentement vers la porte. Je me souviens comme le temps m’a paru long jusqu’à l’atteindre. Une fois la main posée sur la poignée, je suis sortie précipitamment et ai couru jusqu’à l’ascenseur. Il ne m’a pas suivi. Dans l’ascenseur j’essayais de téléphoner à mon ami mais bien sûr, ça ne captait pas… Une fois dehors, j’ai couru jusqu’au métro, en larmes. Je voulais quitter le quartier au plus vite. J’ai pris n’importe quel métro et suis descendu à n’importe quelle station. Là, je me suis effondrée. Une vraie crise de larmes. Impossible de me calmer. Je tremblais. Je voulais que personne ne me parle, ne me touche. Je voulais retrouver une bulle de sécurité. C’est dans des bras aimants que j’ai pu relâcher la tension. M’apaiser. Ensuite vint la colère ! Ce chantage immonde…  Et effectivement, je me retrouvais sans stage, donc en danger de redoublement. Mais je ne voulais pas que cet individu gagne sur ce point-là. J’ai téléphoné(, plus le temps d’envoyer des CV)à droite, à gauche, des heures durant, jusqu’à tomber sur une jeune psychologue qui normalement ne prenait pas de stagiaire, mais qui, devant mon insistance, accepta de me recevoir. D’emblée mise en confiance, je lui racontais ma mésaventure et elle « m’embaucha ». C’est ainsi que je me retrouvais stagiaire dans un foyer de L’aide Sociale à l’Enfance. Je rencontrai ces enfants victimes, moi-même fragilisée. Leur problématique trouva écho en moi. Ce fut un déclic. J’avais trouvé ma spécialité.

Rétrospectivement, je sais bien que dans mon malheur, j’avais eu de la chance. J’en étais sortie indemne.
Enfin, indemne… Pas tant que ça...
J’eus quelques symptômes post traumatiques.
Mais surtout, je venais d’apprendre ce à quoi ma condition de femme pouvait m’exposer. Même dans notre société dîtes civilisée... 
Une biche aux abois. Voilà ce que j’ai été.
Ce que nous sommes toutes face à la perversité.
Comment l’accepter ?

Illustration: Biche - © 2003 - CHATROUX André

Commentaires

  1. Bonjour Ameline

    Je découvre votre blog par l'intermédiaire de celui de Christophe ANDRE. Malgré la mésaventure que vous racontez, j'ai aimé vous lire. Je pense que même ces moments là peuvent nous permettre de nous construire, votre subconscient reconnaîtra désormais les chasseurs de biches! ;-)

    Belle journée

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    1. Bonjour Cédric

      Merci pour votre commentaire ( mon premier ! ), car il m'encourage :)
      J'ai mis du temps à réagir, car j'avoue tâtonner encore sur ce qu'est un blog, ce que je veux y mettre, comment le gérer quotidiennement,...
      D'ailleurs, vous dîtes me découvrir par le biais du blog de CA, là aussi, j'ai eu ma première grosse frayeur quand j'y ai laissé mon premier commentaire!
      Je n'avais pas capté qu'il y aurait ma photo et un lien vers mon blog! Pression, pression!
      Mais finalement, j'assume.
      Qui je suis. Ce que j'écris. Et même si mon univers est loin de celui de CA, je suis heureuse que l'on me lise. Et de recevoir un retour tel que le votre m'a fait très plaisir.
      Bonne journée Cédric,
      Et à bientôt sur le blog de CA !

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  2. Oula quelle histoire ! et quelle honte pour ce bonhomme !
    vous la racontez très bien par ailleurs .
    je suis contente que vous n' y avez pas laissé trop de plumes .
    mais vous n' avez pas porter plainte au moins ?il faut qu'il comprenne qu'il y a des lois et qu'elles ont là pour tous même si le chemin de la justice n' aboutit pas toujours ou trop lentement .Il faut qu'il comprenne tout ça et qu'il ne recommence pas !!

    Belle grossesse : ce sont des moments magiques oui :-)

    Isabelle maman et médecin qui aime bien la psychologie :-)

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    1. Porter plainte, ce n'est possible que s'il y a eu un délit. Or, ce n'était pas le cas. Il ne m'a pas agressé sexuellement, d'un point de vu juridique. S'il avait employé la force... Mais cet individu était intelligent. J'avoue être plusieurs fois passée devant le commissariat à l'époque... Ce qui m'a fait rebrousser chemin, au delà de la honte d'avoir été naïve et le déplaisir de devoir raconter, c'est la peur des possibles conséquences pour l'obtention de mon diplôme. Maintenant, formée juridiquement, je sais que de toute façon, à part peut-être une main courante... En fonction de la bonne volonté du policier... Ma démarche n'aurait abouti à rien. C'est la réalité de la justice française... No comment.

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  3. La biche de la photo est parfaitement en équilibre .......
    C'est évident ! ........
    Elle est en un état d'équilibre dynamique que je trouve prodigieux .....
    Elle est parfaitement immobile et parfaitement mobile ......
    Tendue et souple (non pas figée . non pas rigide) .......
    Elle est en suspension spatio temporelle ......
    Hyper vigilante .......
    Elle est belle et forte ......
    Elle n'est pas craintive car elle est libre .......

    Stéphanie : http://stephanie-foret.blogspot.fr/

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  4. Merci La Renarde! Votre commentaire est magnifique et tellement parlant... Comme toujours.

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